17.03.2018

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 67

Histoire et actualité des Lumières radicales


La conception d’une libération radicale, contestant catégoriquement l’assujettissement et l’oppression religieux et politiques selon les prin­cipes des Lumières, a une longue histoire et se trouve à l’origine de nombreux conflits importants. L’historien britannique Jonathan Israel a consacré les vingt dernières années de sa vie aux Lumières radicales, sous-évaluées et mal connues en Europe, en particulier en France. Il a voué à ce sujet 4000 pages, réparties en quatre gros volumes.

Les Lumières radicales ont été révélées au début du XVIIIe siècle: des ténors du mouvement de libération ont observé une rupture entre les partisans d’une clarification modérée, cherchant uniquement à réduire l’influence de l’église et l’intolérance, et des philosophes radicaux, qui voulaient couper le pouvoir religieux et imposer de vastes réformes in­stitutionnelles et politiques (des révolutions). D’après Israel, ces radicaux ont joué un rôle beaucoup plus important qu’on le pensait généralement jusqu’ici pour les révolutions américaine, française, et donc suisse.

Israel discerne un premier signe de cette fracture dans l’opposition de Vol­taire à la thèse de Jean Meslier (1664-1729) et Nicolas-Antoine Bou­langer (1722-1759), selon laquelle l’esprit général est en lutte per­ma­nen­te contre le duo monarchie & religion pour la domination de l’humanité. Selon Boulanger, ces volonté et cause communes se heurtent à une ty­rannie reposant sur la superstition et l’intérêt personnel. Voltaire a rejeté cette doctrine jugée matérialiste et condamné toute attaque contre les prêtres et les rois, ainsi que la mentalité républicaine antiaristocratique des radicaux. Dans une lettre à Condorcet - pour Israel l’un des phi­lo­so­phes radicaux les plus cohérents - Voltaire craignait dès octobre 1770 que cette nouvelle philosophie du matérialisme à la Diderot, d’Holbach et Helvétius «déclenche une révolution terrible» si l’on ne s’y opposait pas résolument.

Depuis le début des années 1780, il était indiscutable selon Jonathan Israel que deux mouvements des Lumières se faisaient face: «L’un ré­vo­lutionnaire et démocratique, l’autre conservateur, princier, aristo­cratique!» Ainsi, Richard Price (1723-1791), philosophe radical gallois, a écrit en 1784: «Je vois avec une grande satisfaction la révolution qui a eu lieu en Amérique afin d’obtenir une liberté générale; ce bouleversement a fait beaucoup de bien en diffusant les opinions justes sur les droits humains et la nature d’un gouvernement légitime, et en éveillant un esprit de ré­sis­tance contre la tyrannie qui a déjà libéré un pays européen, les Pays-Bas, avant d’autres sûrement.» Commentaire de Jonathan Israel: «Les partisans américains des Lumières radicales, comme Thomas Paine, Thomas Jefferson, Joel Barlow, Robert Coram et Benjamin Franklin vers la fin de sa vie, voulaient poursuivre la révolution après 1783 et, contrai­re­ment aux modérés, soutenaient les principes de la démocratie, l’éga­li­té, la formation pour tous et l’abolition de l’esclavage.»

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Jonathan Israel, né à Londres en 1946, historien aux universités britanniques d’Oxford et Cambridge, aujourd’hui professeur d'histoire moderne de l'Europe à l'Institut d’études supérieures de Princeton (USA). Entre 2006 et 2017, il a publié quatre grands volumes sur les
Lumières radicales, qui ne sont pas encore traduits en français.

«
A partir du milieu des années 1770, la fracture dans les Lumières (...) est devenue ouverte, franche et irréparable. Il est désormais impossible (...) de combler le fossé entre les Lumières radicales et modérées. (...)
A partir des années 1770, les philosophes radicaux ont diffusé une forme de conscience révolutionnaire entièrement neuve (...). Le monde entier souffre sous le joug de la tyrannie, de l‘oppression et de la misère, adossées à l’ignorance et à la crédulité. L’humanité tout entière a besoin d’une révolution par laquelle elle pourra s’émanciper. (...) Le rôle de Spinoza (1632-1677) comme initiateur décisif des Lumières radicales est sans précèdent. (...) Plus qu’aucun autre, il est considéré comme le philosophe qui a forgé le socle de base, les valeurs morales exclusivement séculières et la culture de la liberté individuelle,
de la politique démocratique, de la liberté de la pensée et de la presse, qui incarnent aujourd’hui les valeurs essentielles de l’égalitarisme séculier moderne: celles des Lumières radicales.
»

Extrait du dernier livre de Jonathan Israel en français, Une révolution des esprits. Les Lumières radicales et les origines intellectuelles de la démocratie moderne, éditions Agone, Marseille, 2017.


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