24. Feb. 2018

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 64

Libérez-vous de vos chaînes!


«Si je reste dans ce pays sanguinaire, ma vie s’achèvera sans doute bientôt. Je ne peux pas continuer à entendre constamment les chaînes des esclaves et à affronter sans cesse les insultes des esclavagistes pervers.» Le jeune Noir David Walker a écrit ces lignes au début des années 1820 dans le port de Wilmington (Caroline du Nord). Il y était né en 1796, fils d’un esclave noir et d’une mère noire libre. Il est parti com­me jeune homme «libre» pour Charleston (Caroline du Sud), la Mecque des Afro-Américains librement engagés. Dans cette ville, Walker est de­venu membre actif de l’église méthodiste épiscopale, première commun­au­té religieuse noire des USA.

En 1825, David Walker s’est établi à Boston, la capitale du Massachu­setts. L’esclavage y avait été interdit après la fin des guerres d’indépen­dance américaines. Walker a ouvert un magasin de vêt­ements de se­con­de main. Mais il s’est surtout engagé contre le traitement discriminatoire des Noirs et la volonté de les renvoyer en Afrique pour décharger la nou­velle démocratie américaine en créant une nouvelle colonie (Libéria). Walker est devenu fondateur, rédacteur et agent du Freedom’s Journal (Journal de la Liberté) de New York, premier journal des États-Unis en­tièrement réalisé et dirigé par des Afro-Américains. Le jeune Noir est de­venu l’un des combattants les plus engagés et radicaux contre l’es­cla­va­ge et le racisme aux États-Unis.

En 1829, Walker a lancé un Appel à tous les citoyens de couleur du mon­de, considéré aujourd’hui par beaucoup d’historiens américains comme l’un des principaux manifestes sociopolitiques du XIXe siècle: un appel radical et pressant pour l’abolition immédiate de l’esclavage et l’égalité des droits pour les Noirs. Walker a été le premier Noir à dénoncer l’in­co­hérence des Blancs: après s’être libérés des Anglais au nom de l’éman­ci­pa­tion générale, ils s’étaient remis eux-mêmes à opprimer et discriminer leurs compatriotes de couleur, qui avaient pourtant combattu les Bri­tan­niques comme eux. David Walker appelait ses compatriotes noirs à se mobiliser et à se défendre.

«Notre misère est le produit de notre ignorance», écrivait Walker: «Met­tez fin à la barbarie de l’esclavage! Libérez-vous des chaînes qui en­trav­ent votre esprit comme votre corps!» Cet appel a eu un grand retentis­se­ment dans tous les États-Unis de l’époque. Il a eu une énorme influence. Beaucoup de Noirs ont pris Walker au mot et ont commencé à se révol­ter. Par exemple en décembre 1830 à New Bern (Caroline du Nord), où 60 esclaves ont payé leur rébellion de leur vie. Dans les États du Sud, les gouverneurs blancs se sont mis à interdire le manifeste. Ceux qui étaient pris en sa possession étaient jetés en prison. Le gouverneur de Géorgie a même promis 10 000 dollars à qui lui permettrait d’arrêter Walker.

David Walker est mort de tuberculose le 6 août 1830, une semaine après le décès de sa fille frappée de la même maladie. Mais les principes dé­mo­cratiques de son appel, écrivait le journal Boston Evening Transcript en septembre 1830, «brillaient pour les Noirs d’Amérique comme une étoile du levant leur indiquant le chemin vers la liberté et l’émancipation».

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Melvin Rogers, né en 1977 dans le Queens, un arrondissement
de New York, et a grandi dans le Bronx. Philosophe et historien politique
qui met l’accent sur l’étude de la philosophie politique des penseurs
afro-américains, il est aujourd’hui professeur à l’Université Brown
de Providence (Rhode Island), l’une des plus anciennes
et réputées des USA.

«
Nous vivons une époque agitée et inquiétante. Il est donc important de prendre conscience de l’histoire des racines, qui aident à surmonter avec courage et passion la crise actuelle de la démocratie libérale. Pour moi, l’appel de David Walker est une telle source de foi et de confiance en la possibilité de changer des conditions inhumaines. Lui-même issu d’une époque d’urgence et de misère de l’esclavage, il montre la possibilité d’un avenir où chacune et chacun pourra trouver son toit, et dans la perspective duquel il vaut la peine de ne pas se résigner au funeste présent.
»

Extrait d’un discours de Melvin Rogers proclamé le 12 octobre 2017
à la 10e session d’automne du Centre Hannah Arendt de New York,
sur le thème Crise de la démocratie, la pensée dans l’obscurité.
Il a été reproduit en partie le 1er novembre 2017 par la Boston Review
dans un article intitulé Keeping the faith (Garder la foi).


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