10. Feb. 2018

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 62

La démocratisation de la démocratie jurassienne


Egalité salariale: concrétisons! Ainsi s’intitule l’initiative populaire pour laquelle des syndicalistes jurassiens récoltent actuellement des signa­tures depuis juin 2017. Les syndicalistes ont encore jusqu’à l’été pour rassembler les 2'000 signa­tures nécessaires. En cas de succès, le Par­lement jurassien aura le mandat d’ancrer dans la loi des mesures per­met­tant la concrétisation effective du principe d’égalité entre hommes et femmes en matière de salaires. Si les députés devaient refuser, l’ini­tia­tive serait soumise au vote populaire.

En mai 2017, des personnalités de tous les partis, de gauche et de droi­te, du canton de Zurich ont lancé une initiative populaire pour une loi sur les écoles de musique, qui doit assurer à tous les jeunes du canton un enseignement musical gratuit. Alors qu’ils avaient un délai de six mois, les mélomanes zurichois ont récolté en trois mois les 6'000 signatures nécessaires. Le parlement cantonal examine la possibilité de concrétiser cette initiative dans une loi.

Les efforts de citoyens engagés montrent combien l’on aime la perle de la démocratie directe - ainsi avait-elle été qualifiée il y a plus de 100 ans par le conseiller fédéral Ludwig Forrer, lui-même un enfant de la révo­lu­tion démocratique zurichoise de 1868. Une perle que l’on trouve toujours dans les cantons. Plus surprenant: les syndicalistes jurassiens doivent convaincre 2'000 citoyens, soit 3,5 % des 57'000 ayants-droit jurassiens, alors que les mélomanes zurichois n’ont eu à convaincre que 6'000 ci­toyens, soit 0,6 % seulement des 860'000 ayants-droit. Il est vrai que les Zurichois ont deux fois moins de temps à disposition que les Jurassiens. La barre est toutefois placée haut dans le Jura. Au plan fédéral, il faut 100'000 signatures pour faire aboutir une initiative constitutionnelle, soit 1,9 % des ayants-droit.

Il n’y a pas longtemps, la barre fixée pour une initiative constitutionnelle dans le canton de Genève était encore plus élevée que dans le Jura. Mais l’automne dernier, les Genevois ont approuvé une initiative po­pu­laire qui ramène le nombre de signatures nécessaires à 2 % de l’électorat pour une initiative législative, à 3 % pour une initiative constitutionnelle. Les Zurichois ont fait pareil il y a 13 ans en rédigeant une nouvelle Con­stitution cantonale. Leur raison principale: aujourd’hui, 90 % des citoyens votent et élisent par correspondance. Cela a mené à la fermeture de nombreux locaux de vote, devant lesquels on avait l’habitude de récolter des signatures, un exercice plus facile dans ces lieux que devant la Mi­gros ou la Coop par exemple.

À la création du canton du Jura, la souveraineté du nouveau canton pa­raissait plus importante que celle du peuple. Il y a 16 ans, le juge can­to­nal Jean Moritz évoquait dans son commentaire de la Constitution ju­ras­sienne un «... double affaiblissement des droits populaires: le Parlement est maître de la procédure (...) et les initiants n’ont qu’une possibilité li­mi­tée de déterminer le texte (...) soumis au corps électoral.» La con­sé­quen­ce: la fréquence des initiatives populaires se trouve dans le Jura en des­sous de la moyenne. On dénombre 38 initiatives lancées en 40 ans dans le canton du Jura. Dans le canton de Zurich, il y en a environ six par an­née. Dans le Jura, la part des grands partis représentés au Parlement et des organisations établies est bien plus élevée parmi les initiants qu’au niveau de la Confédération et dans la plupart des cantons. Cela explique aussi le fait que les initiatives populaires sont davantage soutenues par le Parlement et la majorité du peuple jurassien qu’ailleurs.

Mais la démocratisation de la démocratie jurassienne a déjà commencé. La Constitution cantonale a été modifiée en 2004 avec l’introduction de l’initiative rédigée de toutes pièces: avec elle, les citoyens peuvent im­po­ser un texte face à la procédure parlementaire. En outre, avec l’inté­gra­tion de Moutier dans le canton, le pourcentage des citoyens à convaincre pour une initiative devrait être réduit de 3,5 à 3,1 % mais je me demande si c’est suffisant. Ne faudrait-il pas profiter du nouveau contexte et di­mi­nuer le nombre de signatures exigées pour une initiative populaire? Ainsi la démocratie directe jurassienne se rapprocherait-elle du niveau des exigences pratiquées en Suisse en matière d’initiatives populaires.

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Friedrich Albert Lange (1828-1875) a grandi en Allemagne et à Zurich,
a étudié la philosophie, il dirigea entre 1866 et 1870 le quotidien Landbote à Winterthour. Membre de la Constituante zurichoise
de 1868/1869, il est l’un des penseurs du mouvement social
qui conquit la démocratie directe dans le canton de Zurich.

«
Notre but est l’amélioration de la situation des classes laborieuses, notamment des hommes qui, malgré leur statut de ‘citoyens libres’,
ne sont pas maîtres de leur destin mais doivent chercher leur pain chez les autres. (...) Nous voulons éliminer le copinage dans notre État, abolir l’aristocratie de l’argent et les remplacer par un gouvernement honnête du peuple, par une démocratie directe dans le sens le plus noble, dans laquelle tout est fait pour, mais aussi par le peuple.
»

Friedrich Albert Lange, dans le Landbote le 3 janvier et le 4 février 1868.


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