30. Sept. 2017

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 45

Discordances sur la démocratisation
de l’Union européenne



Les conceptions démocratiques très différentes entre la France et l’Alle­magne, des États les plus importants de l’Union européenne, freinent l’Europe dans l’élaboration d’un renouveau démocratique: l’implantation transnationale. Seule l’intégration de cette pièce dans les fondamentaux de l’UE pourrait restaurer la souveraineté économique et sociale que les États nationaux ont perdue en Europe au cours des vingt dernières années.

Au premier semestre 2017, l’Europe a été l’un de cinq thèmes majeurs de la campagne électorale française. D’une part, les principaux partis politiques et candidats ont formulé leurs critiques envers l’UE actuelle et d’autre part, ils ont tenté de rallier les citoyens à leur propre alternative. À part les nationalistes, les partis et mouvements importants ont réclamé des réformes plus ou moins étendues, allant jusqu’à «une rénovation institutionnelle complète» (Claus Offe) de l’UE. Ce faisant, ils ont dé­clen­ché non seulement des discussions interminables, mais parfois très in­structives, durant lesquelles certains candidats à la présidence se sont laissés inspirer par d’autres, et en ont repris des éléments dans leurs propres projets de réforme de l’UE.

Ainsi, Emmanuel Macron a repris l’idée du candidat malheureux du PS Benoît Hamon et de son principal conseiller économique Thomas Piketty. Ceux-ci proposaient de créer une assemblée de la zone euro formée de représentants des Parlements nationaux, afin de démocratiser la gou­ver­nance de l’euro et d’étendre ses compétences en matière fiscale et so­ciale. Macron a intégré ces éléments dans son projet de refondation de l’UE. Grâce à sa victoire convaincante tant aux élections présidentielles que législatives, il s’est aussi procuré un «mandat» parfaitement légitime «de refonder le projet européen par et avec le peuple», comme il l’a af­firmé mardi dernier dans son grand discours à la Sorbonne. Cela pour répondre à l’observation faite deux semaines plus tôt devant l’Acropole à Athènes: «En Europe, la souveraineté, la démocratie et la confiance sont aujourd’hui en grand danger.»

Cette impulsion française à la réforme de l’UE contraste avec la cam­pa­gne électorale allemande de l’été, où rien de semblable ne s’est produit. On n’y a pratiquement pas parlé de l’UE. Comme toujours, Angela Merkel s’est bien gardée de défendre le moindre projet. Elle n’a pas expliqué aux électeurs et électrices les idées de Macron, qu’elle connaissait, et n’a donc pas cherché à s’assurer un mandat comme lui. Aucune prise de conscience n’a eu lieu en Allemagne, aucune initiation à la réforme de l’UE. Au soir du dimanche électoral, l’énergique des libéraux s’est borné à affirmer qu’un transfert financier au sein de la zone euro, bien qu’as­suré­ment favorable à l’intégration européenne et à l’Allemagne, con­stitu­erait une ligne rouge. A Paris, Macron a aussitôt répliqué qu’il ne pro­po­sait pas de ligne rouge, mais de nouveaux horizons constructifs.

Compte tenu des déficits démocratiques de l’élite germanique, il sera difficile d’intégrer les Allemands dans le processus d’apprentissage nécessaire au succès de la démocratisation de l’UE. C’est pourtant la condition pour que même les élites de la nouvelle coalition gouver­ne­men­tale réalisent que l’UE devra être dirigée démocratiquement et pas par une chancelière allemande et son ministre des finances. Ou pour faire un parallèle helvétique: les Suisses admettraient-ils que le Conseil fédéral soit remplacé par le président du Gouvernement zurichois et que celui de la Banque nationale définisse, ou plutôt empêche, la péréquation finan­ci­ère?

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Claus Offe, né en 1940 à Berlin, professeur de sociologie politique
aux universités de Bielefeld, Brême et Berlin. Il fait partie
des intellectuels de gauche les plus connus d’Allemagne.

«
On peut se représenter l’intégration européenne dans une version positive qui serait susceptible de créer, au niveau supranational, des compensations aux pertes de souveraineté nationale liées aux marchés. (...) Pour que cela puisse se produire, l’Union devrait cependant être transformée en une démocratie supranationale, avec (...) un législatif élu à part entière et des autorités gouvernementales contrôlées. (...) La crise de la dette et la problématique des réfugiés ont ostensiblement démontré la nécessité d’engager les pays membres de l’UE dans un système de coopération solide. Ce sera plus difficile à obtenir qu’un rapprochement en poursuivant le processus d’intégration vers la formation d’une démocratie européenne supranationale.
»

Tiré du livre de Claus Offe, Europa in der Falle (L’Europe prise au piège), Francfort 2016; les ouvrages du professeur ont été traduits
dans diverses langues, mais pas en français.


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