23. Sept. 2017

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 44

L’indignation ne fournit pas encore d’alternative


Que ce soit dans les villes hanséatiques des bords de la Mer du Nord et de la Baltique ou sur les marchés des coquettes bourgades de la Forêt noire voisine, j’y ai sans cesse rencontré ces quatre dernières semaines des gens très critiques face à la situation politique de l’Allemagne. Ils dé­ploraient très vivement les injustices croissantes dans leur pays. Surtout la pauvreté, dans laquelle tombent même des gens qui travaillent 41 heu­res par semaine, ce qui indigne des centaines de milliers d’Allemands. Sans parler de la retraite misérable qui attend des millions de personnes n’ayant guère droit à plus de 1200 euros par mois aujourd’hui. Ils méri­te­raient bien davantage. Dans les centres des principales villes alle­man­des, les loyers augmentent tellement que même des familles dont les deux parents travaillent à plein temps doivent changer de logement, ce qui provoque aussi la colère.

Malgré toute cette indignation, ceux qui sont prêts à rechercher des alter­natives et à s’engager sur de nouvelles voies possibles restent très rares. Très peu de citoyennes et citoyens pourtant critiques appellent à prendre un nouveau virage ou même à s’engager pour les alternatives de gau­che. Les trois partis s’inscrivant dans cette mouvance politique débattent volontiers des anomalies qui font l’objet de critiques mais. Ils ne semblent en revanche pas être capables de convaincre et encore moins d’enthou­sias­mer la population avec leurs réponses et leurs alternatives.

Le philosophe Axel Honneth a prédit il y a deux ans cette description du présent en écrivant dans l’introduction de son livre sur les nouvelles idées socialistes: «L’afflux des courants de la pensée utopique, comme aurait dit Ernst Bloch, semble interrompu aujourd’hui; on sait assez exactement ce que l’on ne veut pas et ce que les conditions sociales actuelles ont de révoltant, mais sans avoir d’idées à peu près claires où devrait conduire le changement que l’on désire.»

Pourquoi tant de gens ne sont-ils plus capables d’imaginer un avenir, et encore moins de prendre une direction qui offre davantage que la répé­ti­tion de formes de vie ou de modèles sociaux du passé qui se sont ré­vé­lés insuffisants? Honneth avoue qu’il n’a pas encore trouvé de réponses convaincantes à ces questions. Mais il croit pouvoir nous être utile en remarquant que «les événements économiques et sociaux sont devenus aujourd’hui beaucoup trop complexes pour la conscience publique et pa­raissent par conséquent mystérieux». Cela pousse aujourd’hui trop de gens à croire «que les conditions institutionnelles de la vie commune sont des données échappant à toute intervention humaine».

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Axel Honneth, philosophe allemand né en 1949 à Essen,
professeur à Francfort et actuellement à New York.

«
Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, jamais autant de personnes ne se sont indignées en même temps des conséquences sociales et politiques de l’économie capitaliste de marché, mondialement déchaînée. (...) Mais cette indignation paraît privée de toute intuition historique fixant un but aux critiques présentées (...) C’est comme si le malaise qui sévit rendait incapable de réfléchir au-delà du présent (...)
La séparation entre l’indignation et toute orientation d’avenir, entre la protestation et toute forme d’amélioration, est vraiment nouvelle dans l’histoire des sociétés modernes.
»

Tiré de l’introduction du dernier livre d’Axel Honneth,
Idee des Sozialismus, Berlin, automne 2015, en frc. L'idée du socialisme: Un essai d'actualisation, Gallimard collection NRF essais, 2017.


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