16. Sept. 2017
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 43
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L’embryon du changement
Ceux qui veulent engager des conflits militaires au cœur de l’Europe risquent très probablement l’escalade vers une guerre nucléaire. Un tel mouvement est hautement vraisemblable parce que l’avantage d’être le premier à utiliser des armes atomiques est si grand que personne n’y renoncera – même en sachant qu’une offensive nucléaire déclencherait une réaction équivalente. Cela conduirait à une autodestruction générale à laquelle personne ne peut ni ne souhaite sans doute survivre en Europe. C’est pourquoi tout doit être fait pour empêcher les tentatives militaires de régler les conflits. Cela ne peut être qu’une tâche politique.
Cette réflexion, qui n’a rien perdu de sa validité, a été l’une des trois raisons qui ont conduit à la votation mémorable de novembre 1989. À la surprise complète de la Suisse officielle, plus d’un million de Suisses et Suissesses – avec une participation de quelque 70 %, ainsi que les cantons de Genève et du Jura, ont alors voté pour la suppression de l’armée. Cette rupture a contraint l’armée à une suite de réformes pas encore achevée aujourd’hui. La démocratie directe a permis de briser ce tabou et de déclencher les discussions qui ont rendu visible cette autre Suisse cachée.
Beaucoup d’entre nous, les promoteurs de l’initiative, étions bien conscients que ce résultat ne suffisait pas pour assurer la paix en Europe et la démilitarisation politique. Il faut pour cela une nouvelle pensée européenne, et pas seulement suisse. C’est pourquoi nous avons fondé en mai 1991 à Rostock, l’ancienne ville hanséatique de la côte baltique, un mouvement européen baptisé Eurotopia avec des pacifistes des deux Allemagne, de Belgique, de France et du Danemark. Son but était de lutter pour une Constitution fédéraliste apportant des droits démocratiques directs aux citoyens de l’Union européenne – condition pour obtenir, au niveau européen aussi, un changement de la politique de sécurité traditionnelle. Pendant environ six ans, les Eurotopistes se sont rencontrés deux fois par année dans un coin ou l’autre de l’Europe afin de concrétiser leur projet. Des représentants des Ministères des affaires étrangères d’Autriche et d’Italie ont aussi participé à l’une de ces réunions à Trente (Italie du Nord). Ils ont appuyé l’idée de droits populaires européens dans leurs gouvernements, qui ont cherché à en convaincre leurs collègues des autres pays membres.
Depuis lors, l’initiative citoyenne européenne (ICE) est restée présente en Europe. Elle a même été soutenue par l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing en 2003 à la Convention sur l’avenir de l’Europe, intégrée au Traité de Lisbonne en 2007, réglementée par le Parlement et la Commission européenne en 2010, et mise en vigueur en avril 2012. En conséquence, les Européens peuvent proposer une nouvelle loi à la Commission par le biais d’un million de signatures recueillies dans au moins sept pays membres. En Suisse, on ne parlerait pas d’initiative mais de motion populaire - comme dans le canton de Soleure - car il ne s’agit pas de provoquer une votation, mais de faire une demande à l’autorité législatrice.
L’initiative citoyenne européenne est néanmoins le premier droit citoyen transnational de démocratie directe. Depuis 2012, des citoyens ont voulu utiliser cet instrument 66 fois; 42 initiatives ont été lancées, mais trois seulement ont abouti (textes pour l’abolition de la vivisection, le droit à la vie et le droit à l’eau). Pour cette raison, la Commission européenne a présenté la semaine dernière un rapport et des propositions visant à faciliter le recours à l’initiative citoyenne européenne. À cette occasion, le vice-président de la Commission Frans Timmermans (Pays-Bas) a déclaré: «Nous vivons dans une société post-paternaliste, mais notre un système gouvernemental reste paternaliste. Pour changer cela, les citoyens ont besoin de meilleures chances d’engagement direct.»
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Markus Pausch, né en 1974 près de Salzbourg, a étudié
les sciences politiques dans cette ville et à Lyon. Il enseigne aujourd’hui à Berlin et Salzbourg.
«
Si l’on ne veut pas retomber dans une Europe à caractère nationaliste,
il est impératif de démocratiser l’UE. Cela ne peut réussir qu’en entreprenant une réforme institutionnelle débouchant (...) sur une Constitution. Les innovations principales seraient le renforcement du Parlement européen, l’abolition complète du droit de veto des États membres, l’extension des compétences de l’UE dans les domaines de la politique fiscale, sociale et extérieure, un exécutif issu du Parlement (...), ainsi que la simplification et une meilleure prise en compte des initiatives des citoyens européens.
»
Extrait du dernier livre de Markus Pausch, Demokratie als Revolte (La démocratie en tant que révolte), Berlin 2017. Il y développe une théorie de la démocratie basée sur la philosophie d’Albert Camus.
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