02.09.2017
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 41
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Élections allemandes:
le contraire de la France
Ce qui a fait la force de la démocratie française au printemps manque complètement à l’automne allemand. En France, des centaines de milliers de personnes ont fougueusement discuté et réfléchi pendant des semaines. Elles ont cherché des issues aux innombrables problèmes, examiné et comparé les alternatives possibles, étudié les expériences étrangères. Surtout, de nombreux citoyens et citoyennes français ont appris énormément au cours de ce remue-ménage communicatif large et diversifié.
Trois semaines avant des élections tout aussi importantes, rien de tel ne s’observe en Allemagne. Certes, de nombreux citoyens et citoyennes sont visiblement mécontents de leur situation personnelle et de la position situation politique de l’Allemagne en général. Mais peu d’entre eux semblent vouloir élucider les causes de cette insatisfaction. Ils ne discutent guère non plus des conséquences possibles, par exemple quel parti pourrait faire de vrais changements et participer au développement d’une alternative. Beaucoup semblent incapables d’imaginer qu’ils pourraient, comme les Français, faire sauter la majorité parlementaire et s’assurer ainsi, par une politique différente, un autre et meilleur avenir. Comme l’a écrit le journaliste Jakob Augstein dans le dernier Spiegel: «Les Allemands sont (politiquement) plutôt mous, fatigués et blasés. L’institut Allensbach a révélé que près de la moitié des citoyens ne savent pas pour qui voter - et que, simultanément, presqu’autant pensent que l’élection est déjà jouée. Le patient examiné par Allensbach souffre de narcose.»
Le symbole de cette démocratie endormie est la chancelière fédérale Angela Merkel, qu’Augstein qualifie de «cheffe anesthésiste». Elle ne dit pas avant les élections comment elle veut résoudre les principaux problèmes. Pour le sort de l’Europe sociale, le Gouvernement allemand jouera par exemple un rôle capital en prenant position sur les propositions françaises de réforme et de démocratisation de la Zone euro. Madame Merkel devrait se prononcer avant les élections afin que les Allemands puissent réfléchir et s’exprimer là-dessus. Cela lancerait certainement un vaste débat, utile et instructif. Mais rien de cela. Ainsi, un professeur d’allemand à la retraite m’a dit dans la petite ville de Lüneburg au sud de Hambourg: «Madame Merkel aura ma voix. Elle continuera à gouverner. Mais je l’avoue, je ne sais pas ce qu’elle fera. Je sais même qu’elle va me surprendre. C’est vrai que ce n’est pas très démocratique, c’est même vraiment déloyal.»
Ce manque d’esprit démocratique rappelle la critique déjà exprimée dans les années 1960 par le philosophe allemand Karl Jaspers, qui a vécu et enseigné à Bâle pendant vingt ans. Jaspers, considéré à l’époque comme «conscience politique» de l’Allemagne, regrettait l’absence totale de discussion, de formation sociétale de l’opinion, et d’une large information. Tout cela distingue une démocratie vivante et doit être réalisé de manière exemplaire durant une campagne électorale. Car «la raison, la liberté et la communication» ne peuvent être pensées, comprises et réalisées qu’ en «trinité», comme a dit Hannah Arendt, grande élève et collègue de Jaspers, lors des obsèques de ce dernier à Bâle.
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Karl Jaspers, psychologue et philosophe allemand, né en 1883 à Oldenburg et mort en 1969 à Bâle. Après des études de médecine, il est devenu l’un des maîtres allemands de l’existentialisme chrétien.
«
Les auteurs de la loi fondamentale allemande semblent avoir eu peur du peuple. En effet, cette constitution réduit l’influence du peuple à un minimum. (...) On ne peut guère prétendre qu’il existe une formation de la volonté politique du peuple en République fédérale. L’ignorance générale est effarante. (...) La démocratie signifie formation personnelle et information du peuple. Celui-ci apprend à réfléchir. Il sait ce qui se passe. Il juge. La démocratie provoque une clarification permanente. (...) En revanche, l’oligarchie des partis (...) tend à cacher des informations au peuple. On préfère le laisser ignorant.
»
Extraits de Où va la République fédérale? dans De la démocratie à l’oligarchie des partis, Munich 1966. En français, voir Jeanne Hersch, Karl Jaspers, L’Age d’homme, 1978/2002.
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