12.08.2017
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 38
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Quand la liberté devient un fait réel
Depuis la Révolution française, l’utopie concrète de nombreux réformateurs sociaux était claire: comment organiser la société de manière à rendre à la fois possibles la liberté et la justice. Et cela pour tous, même ceux qui ne disposent d’aucun privilège. En d’autres termes, comment empêcher l’opposition et la concurrence entre les humains? Comment organiser la société pour qu’ils puissent bénéficier de relations fraternelles, se comprendre comme des partenaires et agir de manière solidaire les uns avec les autres?
Les horlogers jurassiens ont fourni un travail de pionniers dans ce sens à l’époque où ils n’étaient pas encore enfermés dans les fabriques. Nous le savons très bien grâce à l’un d’entre eux, qui a régulièrement rendu compte par écrit comment le travail, l’ordre public, une commune et la Suisse pourraient être organisés de telle sorte que la liberté et la justice puissent être tangibles pour tous: le graveur Adhémar Schwitzguébel (1844-1895), du vallon de Saint-Imier.
Fils «d’un petit patron graveur, ardent radical» (Marc Vuilleumier, cf. LQJ du 22 juillet) de Sonvillier, il avait des antécédents professionnels et politiques. Mais Adhémar voulait obtenir davantage que son père, tant comme horloger que sur le plan politique. Figure caractéristique de l’ouvrier jurassien, c’était un homme totalement dévoué à son idéal. Schwitzguébel avait pris part en 1871 à la fondation de la Fédération jurassienne, antiautoritaire et attachée au socialisme libertaire. Nombre d’ouvriers horlogers, encore peu organisés, y avaient adhéré dans le Jura.
La Commune de Paris (1871) correspond à l’image qu’ils se sont forgés de la société future. Elle perfectionne encore la république. Schwitzguébel écrit dans un manifeste de novembre 1869: «La possession du capital étant de fait un privilège, et le travail humain (...) ayant besoin, pour être fécondé, du capital, c’est-à-dire du travail d’hier, il s’ensuit logiquement que celui qui n’a que son travail est l’esclave de celui qui possède. (...) Ce n’est que lorsque le capital, devenu la propriété collective des travailleurs associés, ne sera plus un privilège pour personne, que la liberté sera un fait réel pour tous.» (Manifeste adressé aux ouvriers du vallon de Saint-Imier, premier texte de la brochure Quelques écrits d’Adhémar Schwitzguébel, Paris, Bibliothèque sociologique, 1908).
Originale aussi la vision d’une commune libre exposée par Schwitzguébel dans un discours du 11 mars 1872 que l’historien Marc Vuilleumier a découverte dans La Tribune du Peuple, un bimensuel de Delémont. Schwitzguébel: «Tout habitant, par le fait de sa résidence, est membre de la commune. Ainsi, point de distinction de nationalités. La commune est créée dans le but de satisfaire tous les intérêts généraux de la population et d’organiser les services publics locaux. (...) L’administration de la commune est confiée à un conseil communal composé de 25 membres nommés par le peuple. (...) Ce conseil se divise en autant de commissions spéciales ... Entre autres: des commissions pour les subsistances, du travail et de l’échange. (...) Ces commissions auraient surtout pour mission de préparer et d’ouvrir la voie à la réforme sociale, qui devrait être la préoccupation première de la commune, avec la question de l’enseignement.» (Extrait du discours à la Société d’utilité publique de Sonvilier, 11 mars 1872).
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Adhémar Schwitzguébel, né le 15 août 1844 à Sonvilier et mort en 1895 à Evilard, était un ouvrier graveur et militant libertaire. Membre de l’Association Internationale des travailleurs, il a participé en 1871 à la fondation de la Fédération jurassienne.
«
Un peuple civilisé ne vit plus aujourd’hui seulement de sa vie propre; il vit aussi de la vie des autres peuples et, si conservateur soit-il, il est entraîné dans le mouvement général de l’époque. (...) Personne aujourd’hui ne peut plus se faire illusion: (...) le monde moderne marche vers une révolution sociale. (...) Les classes ouvrières affirment qu’elles ont été lésées, jusqu’au présent, par le système de production et de répartition des produits du travail; dépossédées de tout, elles ont compris qu’elles ne pourraient améliorer leur position que par leur union générale; elles s’organisent dans ce but, discutent leurs intérêts, et font de la résistance aux empiètements du capital.
»
Extrait d’un discours du «citoyen Schwitzguébel» à la Société d’utilité publique de Sonvilier en mars 1872, repris dans La Tribune du Peuple (éditée à Delémont) Nos 7-11, 1872, découvert, reproduit et commenté par Marc Vuilleumier. Le socialisme libertaire en Suisse Romande: un texte inconnu d’Adhémar Schwitzguébel, dans Histoire et combats, de Marc Vuilleumier, Lausanne 2012, Editions d’en bas, p. 213-232.
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