10.06.2017
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 31
|
Elle perd, il ne gagne pas
La BBC a parlé hier d’un «festival de la démocratie». Son opinion: une fois de plus, le résultat des élections britanniques n’a pas été celui auquel s’attendaient les experts, insiders et politiciens de métier. Au lieu de renforcer sa majorité au Parlement, comme elle l’espérait en décidant ce scrutin en soit pas nécessaire, la première ministre l’a perdue. Au lieu de sombrer comme rêveur et idéaliste, comme l’ont décrié pendant des mois les tapageurs médias britanniques à sensation, le chef de gauche des travaillistes Jeremy Corbyn a obtenu presque le même résultat que le parti conservateur au pouvoir. Ce qui paraissait une victoire facile il y a encore deux mois s’est transformé en désastre pour Theresa May. Le programme du Labour, qui a été dénigré comme totalement irréaliste, s’est révélé être ce que beaucoup de gens, surtout défavorisés, attendent de la politique en Grande-Bretagne: plus de justice et de équilibrité, bon service public, égalité des chances pour tous, respect pour les démunis, pas de concentration des biens sur la City de Londres, mais des chances pour toutes les régions d’avoir leur part de prospérité et de développement.
Comme David Cameron avec son plébiscite sur le Brexit, Theresa May a voulu faire profiter son parti d’une opportunité apparemment favorable. Et comme Cameron, elle s’est complétement trompée dans l’évaluation des soucis de ses compatriotes, et leur a rendu la vie encore plus difficile. Car la conséquence de ces élections britanniques n’est pas seulement la perte de la majorité absolue au Parlement - objectif suprême du système politique - mais une contradiction quasiment insurmontable dont les Britanniques vont encore souffrir: Theresa May a perdu en matière politique, mais Jeremy Corbyn n’a pas (encore?) gagné sur le plan mathématique. Cela est d’autant plus dramatique que, pour la première fois depuis 47 ans, les deux grands partis traditionnels ont à nouveau réuni plus de 80 % des voix. La rénovation du système politique britannique semble donc confinée aux structures traditionnelles, contrairement à la France où de nouveaux mouvements ont pratiquement fait exploser les deux anciens partis.
On peut tout de même parler d’un festival de la démocratie, parce que le résultat électoral de jeudi correspond, à l’opposé de la campagne, bien plus à la logique du Brexit que la plupart le croient hors Grande-Bretagne. En effet, le Brexit n’était pas seulement une critique de fond envers l’état de l’UE, mais aussi une protestation contre les effets asociaux de la politique néolibérale. Et le résultat du Labour supérieur à 40 % - meilleur qu’en 2010 et 2015 - n’exprime rien d’autre que la volonté des Britanniques qui ont souffert de la politique néolibérale des trente années écoulées, de ne plus faire confiance aux «bienfaits du marché et de la concurrence», mais d’exiger une fonction sociale compensatoire de l’état et du système politique. Ceux-ci ne peuvent plus négliger la détresse de ceux qui doivent vivre de leur salaire et n’ont pas de capital à faire fructifier. Le nouveau gouvernement britannique peut-il y parvenir, c’est une autre question. Mais il en a reçu l’ordre avant-hier.
------------------------
Ralf Dahrendorf, né en 1929 à Hambourg et mort en 2009 à Cologne, était un sociologue et homme politique germano-britannique. Il a enseigné dans des universités allemandes et anglaises. Membre libéral du Parlement allemand, il a été Commissaire de la Communauté Européenne et, dès 1993, membre de la House of Lords à Londres.
«
La crise actuelle de la démocratie est une crise du contrôle et de la légitimité du pouvoir face aux nouveaux développements économiques. (...) Les décisions aujourd’hui capitales ont quitté le cadre traditionnel de la démocratie, l’Etat national. (...) Comment la voix du peuple doit-elle se faire entendre dans la prise de décision, quand celle-ci tombe en des lieux inaccessibles et se trouve aux mains de personnes que nous ne pouvons de toute façon pas influencer par notre action démocratique?
»
Extraits d’un entretien de Ralf Dahrendorf avec Antonio Polito, rédacteur au journal romain Repubblica, publié en italien et en allemand sous le titre Les crises de la démocratie (Bari 2002, Munich 2002, éd. Beck).
Kontakt mit Andreas Gross
Nach oben
|