5 août 2017
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 37
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Muse de la démocratie et Amazone rouge
Dans les périodes agitées, certains trouvent le courage de reconnaître et d’analyser leur situation et d’en tirer des alternatives sociales que personne n’aurait pu imaginer en d’autres temps. Nous avons vu la semaine passée (Mosaïque no 36 du 29 juillet 2017) le cas de la Britannique Mary Wollstonecraft (1759-1797), qui fut la première à revendiquer dans ses écrits le principe de l’égalité des droits à l’éducation pour filles et garçons.
D’autres trouvent dans les bouleversements la force de s’engager et d’agir de façon auparavant inimaginable. Ainsi Théroigne de Méricourt (1762-1817). Fille d’un paysan, elle était née près de Liège (Belgique). Ayant perdu sa mère à 5 ans, Anne-Josèphe, son premier nom, avait été placée au couvent, avant de retourner vivre chez son père. Mais elle ne s’est pas entendue avec sa marâtre non plus, et a quitté la maison. Elle est devenue vachère à 14 ans, puis servante. À 17 ans, elle est remarquée par une Britannique qui en a fait sa dame de compagnie, notamment à Paris, à Londres et dans ses voyages en Europe.
Elle se trouve à Naples quand elle apprend la convocation des États généraux par Louis XVI. De retour à Paris dès le 11 mai 1789, elle se jette dans la Révolution française et participe à la prise de la Bastille. Sa proposition d’y aménager un palais pour l’assemblée nationale est accueillie avec enthousiasme. Les 5 et 6 octobre 1789, lorsque des milliers de femmes se rendent à Versailles pour en chasser le roi et présenter les revendications du peuple à Marie-Antoinette, Théroigne est sur place mais ne participe pas aux violences. Elle suit les travaux de l’assemblée nationale, où elle fait son instruction politique, et tient salon le soir pour en informer le peuple. Théroigne se fait connaître en ville comme «Amazone rouge» et «Muse de la démocratie».
Plus tard, elle écrira en prison: «Je n’avais aucune idée des droits du peuple, mais j’aimais naturellement la liberté. Un instinct, un sentiment vivant (...) m’a fait approuver la Révolution française. Je n’avais aucune instruction, et j’ai appris peu à peu ce que je sais par l’assemblée nationale. (...) J’ai surtout été impressionnée par un sentiment de bienveillance générale. L’égoïsme semblait banni; chacun parlait à chacun sans distinction. (...) Mon patriotisme révolutionnaire a grandi dans la foule, car j’étais certaine que la justice et le droit étaient du côté du peuple.»
En 1790, elle prend pour la première fois la fuite face aux attaques des royalistes, mais elle est arrêtée en Belgique. Libérée en février 1791, elle redevient une révolutionnaire populaire à Paris. Pourtant ses luttes pour la guerre deviennent vite excessives aux yeux de maints révolutionnaires. Le 13 mai 1793, Théroigne de Méricourt est dévêtue, ligotée et fessée en public. Jean-Paul Marat parvient au dernier moment à lui sauver la vie. Cette humiliation et le « sentiment d’avoir perdu une révolution» l’ont secouée au point de lui faire perdre la raison. Elle sera internée durant des périodes de plus en plus longues dans des cliniques psychiatriques, où elle finira par mourir aliénée en 1817.
Une des premières féministes des temps modernes, selon l’historienne Charlotte Denoël, a été la victime tant des royalistes réactionnaires que des révolutionnaires estimant toujours, sous l’influence de Rousseau, que la politique était un domaine réservé aux hommes, tandis que les femmes devaient s’occuper de leur foyer.
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Théroigne de Méricourt (1762-1817), paysanne et courtisane, devenue femme politique, l’une des plus importantes de la Révolution française.
«
Citoyennes, armons-nous; nous en avons le droit par la nature et même par la loi; montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertus, ni en courage. (...) Françaises, actuellement que les progrès des lumières vous invitent à réfléchir, comparez ce que nous sommes avec ce que nous devrions être dans l’ordre social. Pour connaître nos droits et nos devoirs, nous devons distinguer le juste de l’injuste. (...) Françaises, brisons nos fers! Il est temps enfin que les femmes sortent de leur honteuse nullité, où l’ignorance, l’orgueil et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps.
»
Extrait d’un discours de Théroigne de Méricourt prononcé le 25 mars 1792 devant la Société fraternelle des Minimes, et cité dans Les femmes dans la Révolution française, vol.2, Paris 1983, trouvé dans le texte de la biographe allemande de Théroigne, Helga Grubitzsch, dans le catalogue pour l’exposition sur les femmes dans la Révolution Française à Francfort en automne 1989.
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