01.07.2017

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 34

Une omelette ne peut pas être remise dans l’œuf


Les Jurassiens et Jurassiennes ont un grand avantage sur beaucoup d’aut­res Suisses et Européens: ils ont déjà pu constater une fois que de nouvelles institutions démocratiques sont nécessaires et qu’il est possible d’en créer. Ils se sont créé un nouveau canton parce qu’ils étaient sûrs de pouvoir améliorer leurs conditions de vie grâce à ces nouvelles insti­tutions.

De nombreux Européens n’ont pas vécu pareilles expériences. Au 19e siècle déjà, l’aménagement de nouvelles institutions démocratiques n’a que rarement réussi. Beaucoup ont été anéanties par les princes et aut­res monarques. Ils ont appliqué la devise du châtelain de Berlin, dont le palais venait d’être reconstruit, en 1848: «Contre les démocrates, seuls servent les obus!»

Le besoin pressant de nouveaux instruments est une évidence pour les démocrates. Car les institutions démocratiques actuelles, essentiellement nationales, ne peuvent plus réaliser les objectifs de la démocratie. L’éco­no­miste libéral Dani Rodrik, professeur à Harvard, l’a clairement dit il y a cinq ans déjà: «La démocratie nationale est incompatible avec une vaste globalisation de l’économie.»

Le professeur Rodrik en a donné la raison le 22 juin dernier dans un en­tre­tien avec la Wochenzeitung (WOZ) de Zurich: «Les gouvernements nationaux sont aujourd’hui très limités dans leur politique économique, parce qu’ils doivent toujours prendre garde aux effets de leurs décisions sur les flux financiers. La politique nationale est devenue l’otage des in­vestisseurs internationaux. Au lieu de mettre la globalisation à leur ser­vice, les différents pays sont au service de la globalisation.»

Dani Rodrik en a déjà dit les conséquences dans un blog il y a trois ans: «Dans les pays développés, le mécontentement de nombreux citoyens et citoyennes envers leur gouvernement vient de son incapacité à prendre des mesures efficaces pour la croissance de l’économie et l’intégration de tous en son sein. Les gouvernements ne peuvent pratiquement plus faire de redistribution et d’équilibrage, ce qui est capital pour l’intégration sociale d’une collectivité. Conséquence: les tendances nationalistes s’am­plifient, alors qu’aucune solution n’existe au niveau national.»

Et Rodrik ajoute: «J’ai déjà prévenu il y a près de 20 ans que l’intégration de l’économie mondiale conduirait à une désintégration des sociétés na­tionales. Pendant que les élites, les banques et les multinationales se rapprochent sur le plan mondial, elles s’éloignent de tous ceux qui ne possèdent pas la qualification, le capital ou le réseau social nécessaire pour profiter de cette l’hyperglobalisation – l’inégalité économique a for­te­ment augmenté dans le même temps. Beaucoup ressentent à bon droit que ce jeu global n’est plus dans leur intérêt, qu’ils sont abandonnés. Les démagogues exploitent sans cesse ce sentiment à leur profit.»

Conclusion de Dani Rodrik: «L’Europe doit choisir - soit une Union plus politique et donc plus démocratique, soit moins d’intégration économique. Plus elle tarde à se décider, plus longtemps souffrira la démocratie.» Pour cette raison, le professeur Rodrik plaide pour l’instauration d’une démocratie transnationale en Europe. Par exemple par une assemblée parlementaire des pays de la zone euro, comme la réclame aussi Tho­mas Piketty, ou à long terme, par une constitution fédéraliste europé­enne.

De même qu’on ne peut remettre une omelette dans un œuf, on ne peut pas renationaliser l’économie globalisée. C’est pourquoi le seul moyen de préserver la démocratie passe par son transnationalisation fédéraliste.

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Dani Rodrik, né en 1957 à Istanbul (Turquie), est économiste
et professeur d’économie politique internationale à l’université
Harvard de Boston (USA). Ses livres (La globalisation est-elle allée
trop loin?
, 1997, et Le paradoxe de la globalisation, 2011)
en ont fait l’un des économistes les plus lus dans le monde.

«
Les nations ne peuvent pas réaliser simultanément la démocratie, l’autodétermination et la globalisation économique. Si nous voulons préserver la démocratie, nous devons choisir entre la souveraineté nationale et la globalisation. Si nous voulons défendre la souveraineté
de l’État national, nous devons choisir entre la sauvegarde de la démocratie et la poursuite de la globalisation. Et si nous souhaitons
une globalisation accrue de l’économie, nous devons abandonner
la démocratie ou l’État national. Nous pouvons toujours tirer deux combinaisons de ce trilemme, mais jamais les trois à la fois.
»

Extrait de Paradoxe de la globalisation: la démocratie
et l’avenir de l’économie mondiale
(New York 2011).


Kontakt mit Andreas Gross



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