27. Mai 2017
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 29
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Le retour de l’État
L’ordre du jour public ne nous apporte pas toujours les nouveautés les plus importantes. À force de trumperies, de terreur et de violence, nous n’avons pas encore vraiment pris connaissance d’au moins deux nouvelles tendances essentielles pour la démocratie.
D’abord la découverte par une majorité de Français que l’État national n’a plus le pouvoir de garantir tout seul la protection sociale de la population. Cela ne reste possible qu’ensemble, dans le cadre d’une Communauté européenne réformée en profondeur. Là est le seul moyen d’empêcher que le marché et le capital opposent les États les uns aux autres. Remarquable découverte pour une nation qui a toujours considéré jusqu’ici l’État comme tout-puissant.
L’autre révélation vient de Grande-Bretagne, le pays qui, tout au contraire de la France, a le plus poussé avec les USA la privatisation et le démantèlement de l’État pendant les trois dernières décennies. Là, on semble reconnaître de plus en plus que c’était une faute et que la réhabilitation de l’État et de sa fonction de moteur du bien commun redevient nécessaire.
Ainsi, la première ministre Theresa May a dit il y a quelques semaines à la télévision: «Au cours de ces dernières années, les gens ont perdu une part incroyable de leur confiance. Bien sûr, les salaires ont stagné trop longtemps pour la plupart d’entre eux. Mais nous devons voir plus loin: la confiance dans les institutions qui ont toujours formé le noyau de notre société a aujourd’hui disparu. L’impression qui domine aujourd’hui, c’est que l’économie fonctionne selon ses propres règles déloyales. L’évasion fiscale est devenue un mot-clé. Nous devons à nouveau rechercher des signes de solidarité. Nous devons apprendre à partager davantage. Je ne veux pas parler d’un nouveau contrat entre l’État et les citoyens. Mais celui qui vit bien porte bel et bien une responsabilité particulière envers toute la société. Nous devons reconnaître que l’État a un devoir spécial et doit jouer un rôle particulier dans ce domaine.»
Dans le Guardian, Matthew d’Ancona a qualifié le programme électoral conservateur et son image de l’État de «plus grande redéfinition du conservatisme depuis 35 ans». Il a cité une phrase que la dame de fer Margaret Thatcher n’aurait jamais prononcée: «L’État et le gouvernement peuvent et doivent faire du bien - ils doivent utiliser leur pouvoir pour améliorer la situation des gens qui travaillent dans ce pays. (...) Nous ne croyons pas à la bonté des libres marchés. Nous rejetons le culte de l’individualisme égoïste; nous avons horreur des clivages sociaux, de l’injustice, des conditions déloyales, des trop grandes inégalités.»
Le parti travailliste dirigé par Jeremy Corbin est très concret. Il veut augmenter massivement les impôts des riches afin de développer les services publics dans la formation, la santé et les transports, sur les plans qualitatif et quantitatif. En outre, il pense à nouveau à la nationalisation d’entreprises d’importance sociale systémique afin de les inciter à accroître le bien commun au lieu de maximiser les profits.
Pour le rédacteur en chef du Guardian, le retour à cet État social classique mériterait d’être tenté. Toutefois, il reproche aux deux plus grands partis de se dérober à la question des moyens que détient encore l’État dans une économie globalisée. Par là, le Guardian note indirectement que ni les conservateurs ni les travaillistes ne se sont encore penchés sur les conséquences du Brexit nationaliste et sur sa signification pour le pouvoir de la démocratie nationale.
L’éditorial du NewStatesman contient un espoir qui, souhaitons-le, ne sera pas illusoire: «Quelle que soit l’issue des élections du 8 juin - et tout laisse prévoir une majorité confortable des conservateurs - il faut se réjouir que le prochain gouvernement cesse de traiter l’État comme un acteur illégitime.»
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Pierre-Henri Leroux (1797-1871), typographe et imprimeur parisien, éditeur et philosophe membre de l’Assemblée constituante de 1848, a inventé en 1834 le terme socialisme comme concept désignant l’idéal d’une société conciliant les impératifs de liberté et d’égalité.
«
Nous sommes socialistes si l’on veut entendre par socialisme la doctrine qui ne sacrifiera aucun des termes de la formule liberté, fraternité, égalité, unité, mais qui les conciliera tous.
»
Anthologie de Pierre Leroux, par Bruno Viard, éd. Le Bord de l’Eau, 2007.
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