20. Mai 2017

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 28

Le président philosophe en action


Emmanuel Macron est un homme qui sait faire son narrative – le mot à la mode pour son histoire, son idée fondamentale, sa perspective de base, sa volonté constitutive. Et il sait même se nourrir de son narrative, il se fait comprendre ainsi. C’est sa manière de convaincre, de motiver, d’en­courager et ... d’éduquer!

Le concept d’identité narrative est une œuvre du grand philosophe fran­çais Paul Ricœur (1913-2005). «Un récit permet de coordonner dans une intrigue la contingence des évènements avec les nécessites liées au ca­ractère ou aux ancrages historiques du sujet. Plutôt qu’à la raison, il re­vient à l’imagination d’articuler le hasard au destin», explique le philo­so­phe Michael Foessel dans sa préface Paul Ricœur, éducateur politique pour la collection d’une douzaine d'entretiens et dialogues avec le phi­losophe qui vient d’être éditée sous le titre Philosophie, Éthique et Poli­ti­que (Seuil, 2017).

Foessel explique: «L’une des caractéristiques de la pensée de Ricœur consiste, en effet, à ne jamais séparer l'étude d‘un problème (la volonté, l’interprétation, l’action, le temps etc.) et les questions de méthode. Il n’y a pas de hiatus entre ce que fait la philosophie et la réflexion sur ce qu’ elle peut; (...) penser le temps, c’est déléguer au récit ce que la raison seule ne parvient pas à comprendre.»

En mai 1999, Emmanuel Macron, alors âgé de 22 ans et étudiant à Sci­en­ces Po, devient l‘assistant éditorial de Ricœur. Le Monde a trouvé et publié (16 mai 2017) une lettre de l’assistant Macron à son maitre dans laquelle il exprime sa fascination pour la pensée de Ricœur. Un peu plus tard, Macron confesse: «Paul Ricœur m’a rééduqué sur le plan philo­so­phi­que». En juillet 2015, Macron avoue même dans une interview avec Le1: «C’est Ricœur qui m’a poussé à faire de la politique.»

Selon beaucoup d’experts, cela n’est pas resté sans conséquences. Les traces du philosophe seraient nettement reconnaissables dans les dis­cours, les actions et les intentions du nouveau président. Olivier Abel, professeur de philosophie et d’éthique à l’Université de Montpellier, af­firme ainsi: «Ce n’est pas le 'ou bien ou bien' kierkegaardien mais le 'et-et' ricœrien, cette façon de penser ensemble des choses hétérogènes, qui caractérise Emmanuel Macron. Vouloir par exemple en même temps la libération du travail et la protection des plus précaires, cette manière d’introduire une tension soutenable entre deux énoncés apparemment incompatibles est vraiment très ricœrienne.» (Le Monde, 16 mai 2017).

Et Matthieu Megevand: «'Je ne crois ni à la dissolution de l’éthique dans le politique, sous peine de machiavélisme, ni à l’intervention directe de l’éthique dans le politique, sous peine de moralisme', disait déjà Ricœur dans une conférence en 1967. En termes macroniens? Ne renoncer ni à une meilleure flexibilité de l‘économie (éthique de responsabilité) ni au besoin (idéal) d’égalité et de jus de sociale pour tous (éthique de con­viction).» (Le Temps, 17 mai 2017).

Ainsi, Macron fait partie des rares hommes politiques de pointe qui ne craignent pas, comme Européens convaincus, d’insister sur la nécessité de refonder l’intégration européenne. Car sans démocratisation de l’UE, il n’est pas possible de développer une meilleure politique sociale; sans Europe, le bien commun de la France ne peut pas être retrouvé; sans une UE plus démocratique et sociale, la prise du pouvoir du Front Na­tio­nal en France est inévitable dans cinq ans. Le philosophe devenu pré­si­dent le sait, et cela va diriger son action politique.

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Paul Ricœur (27 février 1913, Valence - 20 mai 2005, Châtenay-Malabry) est un philosophe français. Son œuvre est axée autour des concepts
de sens, de subjectivité et de fonction explicative de la Fiction, notamment dans la littérature et l'histoire.

«
Il y a une aliénation politique spécifique, parce que le politique est autonome. (...) Le nœud du problème est que l’État est Volonté. (...)
Mais si l’État est raisonnable en intention, il avance à travers l’histoire
à coup de décisions. (...) Il y a l’idée de décisions de portée historique, c’est à dire qui changent de manière durable la destinée du groupe humain que cet état organise et dirige. Le politique est organisation raisonnable, la politique est décision: analyse probable de situations,
pari probable sur l’avenir. Le politique ne va pas sans la politique.
»

Extrait de Histoire et Vérité (1955, Le Seuil, Paris).



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