4. Feb. 2017

Le Quoditien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment 13

Seule une démocratie renforcée
peut stopper le populisme



En politique aussi, la nouveauté n’est parfois pas vraiment neuve. Et cela même si on ne semble jamais avoir été confronté autant qu’au­jourd’hui au populisme et aux populistes.

En France, l’icône des populistes Marine Le Pen pourrait même devenir Présidente de la République dans trois mois. En Autriche, la même cho­se a été évitée de peu il y a trois mois. En Grande-Bretagne, un popu­lis­te a gagné un plébiscite anti-européen. Aux Pays-Bas, le populiste Geert Wilders pourrait remporter les élections dans cinq semaines. En Alle­mag­ne, les populistes aspirent au troisième rang l’automne prochain, de­vant les Verts, la gauche et les libéraux. L’Italie a produit avec l’ancien président Silvio Berlusconi quelque chose comme l’avant-garde du po­puliste affairiste. Son double américain milliardaire a également triomphé et s’éclate chaque jour en audience planétaire depuis deux semaines à la Maison-Blanche. En Hongrie et en Pologne, des majorités gouverne­men­ta­les populistes nous apprennent ce que sont les démocraties illibérales. En Turquie, l’autocrate populiste veut s’arroger encore plus de pouvoir présidentiel et, malgré l’état d’urgence, faire voter sur une nouvelle con­stitution. Et en Suisse, l’UDC populiste forme le premier groupe politique du Conseil national et injurie ceux qui ont majoritairement un autre avis comme «méprisant le peuple» et «traîtres à la constitution».

Jamais autant de populisme ne s’était étalé. Malgré sa mauvaise ré­pu­ta­tion. Car peu de gens s’en réjouissent. Beaucoup en frémissent plutôt. Mais pourquoi au juste? Bien des gens en ont une idée, mais pas de dia­gnostic commun et ne comprennent donc guère comment on pourrait le combattre. Il y a presque 50 ans à Londres, on a cherché des réponses correspondantes lors d’une conférence intitulée «Un spectre rôde – le populisme» - aujourd’hui presqu’un euphémisme.

Mais à l’époque déjà, trois choses sont apparues: le populisme se com­prend très différemment des deux côtés de l’Atlantique. Aux USA, il ex­iste une tradition de mouvements (populaires) progressistes, populistes et pourtant diversifiés, qui ont œuvré pour la démocratisation de la so­cié­té dans les années 1830 et 1890. Ils sont comparables aux mouvements démocratiques qui ont agi dans les cantons suisses dans les années 1860, parvenant à imposer la démocratie directe. Pour cette raison, la notion de populisme a une image positive aux USA.

En second lieu, le populisme exprime la crise de la démocratie, plus ex­ac­te­ment de sa part représentative. Beaucoup de gens ne se sentent plus représentés par les anciens grands partis et les parlementaires. Et troisièmement, le populisme n’est pas seulement une forme de discours – simplificateur, personnalisé, agressif, émotionnel, stigmatisant.

Comme la politologue allemande Karin Priester il y a dix ans, son col­lè­gue Jan-Werner Müller relève dans son dernier essai les contenus anti­dé­mocratiques du populisme actuellement florissant en Europe. Pour Müller, le noyau en est: «Les populistes sont seuls à représenter le peup­le». Ceux qui ont d’autres idées sont exclus. Les populistes ignorent le pluralisme et la pluralité, qui constitue le peuple et même simplement la politique. Au contraire, ils se considèrent comme le tout à eux seuls, et comme sachant tout mieux que les autres. Cette tendance à l’ex­clu­sion est renforcée par des positions extrêmement nationalistes, xéno­phobes et égocentriques.

Pour stopper les populistes, il ne nous faut pas moins, mais plus de dé­mo­cratie. Seuls l’extension internationale et l’approfondissement de la démocratie permettront de la renforcer de telle sorte que les gens re­trou­vent le pouvoir de déterminer leurs conditions de vie et de se débar­ras­ser des tentations populistes.

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Jan-Werner Müller est un politologue allemand né en 1970. Professeur
de théorie politique et d’histoire des idées politiques à Princeton (USA),
il a dernièrement enseigné à l’Institut des sciences de l’homme,
à Vienne, où il a conçu son essai sur le populisme.

«Les populistes considèrent que des élites immorales, corrompues et parasitaires viennent constamment s’opposer à un peuple envisagé comme homogène et moralement pur – pour eux, les élites de ce genre n’appartiennent en fait pas au peuple. (...) Ils évoquent ce vrai peuple
en-dehors des institutions. C’est un fantasme.»

(Extrait de l’essai de Müller Qu’est-ce que le populisme? Définir enfin
la menace
, 190 pages, éd. Premier Parallèle, Paris 2016)





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