31.01.2015

Le Temps

L’isolement de la Russie ne fait pas avancer les droits de l’homme


Le député suisse Andreas Gross, rapporteur pour la Russie au Conseil de l’Europe, regrette les sanctions qui ont amené les parlementaires russes à claquer la porte. Il craint que la rupture du dernier lien politique avec Moscou isole davantage les opposants au régime.

Yves Petignat, Berne

L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à Strasbourg, était jusqu’ici la dernière plateforme de dialogue politique entre l’Europe de l’Ouest et la Russie, si l’on excepte l’OSCE. Or, mercredi, les dix-huit députés de la délégation russe ont claqué la porte et annoncé ne plus vouloir revenir à Strasbourg jusqu’à la fin de l’année. Moscou envisagerait de quitter définitivement l’institution européenne. Malgré les tentatives de conciliation de la délégation suisse, une majorité de l’assemblée a décidé de suspendre la Russie de ses droits de vote et de sa représentation au sein du bureau de l’assemblée et de la Commission permanente en raison de la situation en Ukraine. -- Membre de la délégation suisse au Conseil de l’Europe depuis 2000 et rapporteur pour la Russie durant cinq ans au sein de la Commission permanente, le socialiste Andreas Gross, livre ses craintes au Temps face à la rupture du dialogue.

Le Temps: Vous êtes déçu de voir la délégation Russe quitter Strasbourg?

Extrêmement. Car j’ai beaucoup travaillé avec les délégations russe, ukrainienne, pour obtenir des engagements sur des mesures destinées à assurer un minimum de respect des droits de l’homme dans les régions en conflit. La Russie avait accepté un programme en 22 points. Elle s’était engagée à autoriser des missions d’observation sur les droits fondamentaux en Crimée, s’agissant notamment de la minorité tatare, à l’envoi de groupes de parlementaires dans le Donbass , en Ukraine et en Russie auprès des réfugiés. Le président de la Douma s’était déclaré prêt à revoir la loi scandaleuse qui frappe les ONG et les opposants en Russie. Or tout cela s’est heurté au mur d’incompréhension de ceux qui veulent durcir le ton face à Moscou.

Venant de représentants des pays baltes, de Géorgie ou d’Ukraine, c’est compréhensible …

Sauf que s’y est ajouté le jusqu’auboutisme de larges fractions de délégations française et britannique qui a fermé la porte à toute solution politique. Or le Conseil de l’Europe n’est pas une maison de correction pour les élèves indisciplinés ni une école où l’on met au coin les élèves turbulents. C’est un hôpital de la démocratie. Nous sommes là pour dialoguer, encourager, évaluer l’évolution des droits démocratiques. On ne soigne pas les malades en les éjectant de l’hôpital. Car il faut être conscient qu’il n’y a pas de solution militaire dans cette région. Donc les élus ont pour devoir de préparer la paix, de poursuivre le dialogue, d’apprendre des Russes quelles sont leurs craintes, leurs raisons de se sentir humiliés. Au Parlement européen, on parle de la Russie. Au Conseil de l’Europe, on parlait avec les Russes. Et c’est la différence.

Quelles conséquences aura ce départ?

Toutes les relations parlementaires sont désormais rompues. Ce qui veut dire qu’aucune délégation européenne ne pourra plus se rendre en Russie y rencontrer les opposants, se rendre compte du respect des droits démocratiques. Ma collègue Liliane Maury-Pasquier qui me succèdera au poste de rapporteur pour la Russie se verra interdire l’entrée de la Russie. Cela ne va pas aider les opposants au régime de Poutine qui sont déjà terriblement isolés. Les citoyens russes risquent de ne plus être protégés contre l’arbitraire par la Cour européenne des droits de l’homme, si Moscou quitte définitibement. La libération de la pilote militaire et députée ukrainienne Nadia Savtchenko, détenue en Russie et que Moscou promettait de relâcher, est compromise. Le malheur aussi, c’est que plus personne à Strasbourg ne semble prêt à croire aux promesses des Russes. Leur image s’est terriblement dégradée.

Vous avez été rapporteur pour la Tchétchénie, pour l’Azerbaïdjan puis pour la Russie. Quel bilan pour les droits de l’homme tirez-vous de votre expérience?

En Tchétchénie, tous les efforts auront échoué. La dictature actuelle est féroce et pire qu’avant. En Russie, j’avais pu rendre visite en prison à l’ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovski et notre rapport sur l’état des droits fondamentaux dans ce pays avait permis d’entamer une discussion serrée avec Moscou. Le noyau de contestation démocratique lors des élections m’avait surpris. Il explique aussi la réaction de Poutine en Ukraine qui redoute que la révolution bleue à Kiev encourage ses opposants. Je vois en Russie deux développements contradictoires. D’abord une reconnaissance juridique de la Cour de Strasbourg par l’appareil judiciaire russe. Ce qui est un bon signal. Mais d’autre part un durcissement du régime politique qui ne tolère plus la moindre opposition et se heurte toujours plus aux principes fondamentaux que défend le Conseil de l’Europe. Je vois donc une Russie toujours plus imprévisible, mais avec laquelle nous devons absolument garder le dialogue.


Kontakt mit Andreas Gross



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