10.03.2004
Le Temps
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La pub politique favorise les forces qui polarisent et celles qui ont de l'argent
L'arrivée de publicité politique à la radio et à la télé inquiète le politologue Andreas Gross (PS/ZH).
Le Conseil national a apporté jeudi une restriction de taille à la levée de l'interdiction de diffuser de la publicité politique à la radio et à la télévision qu'il avait décidée la veille. La publicité politique restera bannie non seulement sur les chaînes de la SSR, mais aussi des fenêtres publicitaires taillées sur mesure pour la Suisse que diffusent diverses chaînes privées étrangères (dont M6).
Cette décision a été obtenue par la gauche et le PDC, avec le soutien d'une bonne partie de l'UDC soucieuse de réserver le nouveau marché publicitaire audiovisuel aux seules radios et télévisions locales privées helvétiques. Un doute subsiste toutefois sur l'admissibilité de la restriction frappant les fenêtres publicitaires étrangères. Elle pourrait s'avérer discriminatoire au sens de certains accords conclus entre la Suisse et l'UE. C'est le point de vue qu'a notamment défendu le libéral vaudois Serge Beck, et, indirectement, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger.
Même limitée aux médias locaux, la perspective d'une irruption de la publicité politique sur les médias électroniques n'en suscite pas moins des inquiétudes dans les rangs du PDC et de la gauche, qui en craignent des répercussions négatives sur le processus de formation de l'opinion avant des élections ou des votations. Spécialiste de la démocratie directe, le politologue et conseiller national Andreas Gross (PS/ZH) s'en explique.
Que reprochez-vous à la publicité politique audiovisuelle?
- Un spot publicitaire conduit à une réduction incroyable du message politique. Ce moyen de communiquer exclue une réflexion subtile qui respecte la part de vérité que recèle l'argumentation de l'adversaire. La publicité politique risque de broyer les formes authentiques de débat. Allez voir ce qui se passe en Californie. La pub politique y a pratiquement remplacé la politique elle-même à la télévision.
En Suisse, la publicité politique audiovisuelle ne ferait irruption que sur les médias locaux ...
La brèche serait ouverte. Tôt ou tard, on ne verrait plus de raison de ne pas permettre aussi aux médias nationaux d'accueillir des spots politiques. Toutes les grandes choses dans ce pays commence à une échelle limitée. Il ne faut en outre pas sous-estimer l'impact des radios et télévisions locales, notamment lors d'élections cantonales ou dans de grandes communes.
La simplification des messages auquel contraint la pub devrait profiter aux pôles, donc à l'UDC mais aussi au PS ...
Elle favorise une certaine manière de faire de la politique qui n'est pas en soit spécifique aux pôles. Mais j'admet que le PS ne résiste pas toujours à la tentation de simplifier excessivement les enjeux. Mais le problème le plus fondamental est ailleurs: ouvrir un nouveau champ pour la publicité politique, c'est augmenter encore le rôle que joue l'argent dans le débat démocratique.
L'argent joue un rôle en politique dans toutes les démocraties ...
Même aux Etats-Unis, la politique est financée partiellement par des fonds publics. Ce n'est pas le cas en Suisse, alors même que la démocratie directe y est si développée et exigeante. Les partis politiques sont faibles. Ils dépendent d'apports provenant pour l'essentiel de riches mécènes ou des milieux économiques lorsque c'est dans leur intérêt. Cela conduit à des campagnes où les budgets sont souvent très déséquilibrés et de surcroît pas même transparents. Permettre l'irruption de la publicité politique dans l'audiovisuel renforcerait cette évolution au lieu de l'infléchir, au risque de miner peu à peu la légitimité des verdicts populaires.
Propos recueillis par Stéphane Zindel, Berne
Andreas Gross
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